La régulation internationale du travail de 1998 à 2008 : un Eldorado normatif ou un désert interprétatif ?
1 Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chercheure membre du Centre de Recherche Interuniversitaire sur la Mondialisation et le Travail (CRIMT).
2 Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chercheure membre du Centre de Recherche Interuniversitaire sur la Mondialisation et le Travail (CRIMT).
Note. Les recherches qui ont guidé notre réflexion sur les différentes trajectoires normatives en droit international du travail et sur leurs mécanismes d’application ont bénéficié du soutien du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada dans le cadre d’un projet intitulé Droit du travail et pluralisme juridique. Le présent texte sera également publié dans : Jean Charest, Gregor Murray et Gilles Trudeau (dir.), Quelles politiques du travail à l’heure de la mondialisation?, Québec, Presses de l’Université Laval, à venir 2009.
Résumé
Les principes et droits fondamentaux au travail, reconnus au sein de la communauté internationale depuis l'adoption de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998 par l'Organisation internationale du Travail (OIT), ont connu un succès inespéré dans la dernière décennie. Ils ont essaimé dans des instruments de régulation de diverses organisations internationales et d'acteurs clés de la société civile internationale. Il est maintenant possible de les trouver mentionnés dans des accords commerciaux de libre-échange entre États, ou dans les initiatives unilatérales des entreprises transnationales, comme les codes de conduite, et bilatérales, comme dans les accords-cadres passés avec les Fédérations syndicales internationales. Si ce phénomène d'appropriation et de diffusion des principes et des droits fondamentaux au travail est louable, du moins en théorie, il soulève par ailleurs des problèmes systémiques au plan pratique. Les acteurs internationaux ont nettement privilégié des instruments de régulation non contraignants, dits de soft law, à côté des méthodes plus traditionnelles de réglementation du travail, comme celles découlant des obligations juridiques conventionnelles ou coutumières ayant pour destinataires les États souverains. Tant dans la forme que dans le fond, qu'elles soient d'origine publique ou privée, assorties ou non de mécanisme de suivi, les trajectoires normatives mises de l'avant par les acteurs internationaux embrassent souvent désormais une philosophie de la souplesse. Cette tendance conforte-t-elle le respect des droits des travailleurs sur le terrain ? En outre, la pluralité des mécanismes de contrôle ou de suivi, ainsi que la diversité des acteurs chargés d'appliquer les principes et droits fondamentaux au travail, concourent à la production d'interprétations parfois contradictoires entre elles. Laquelle aura préséance et qui en jugera dans un contexte décentralisé de mise en œuvre ? N'y a-t-il pas là un danger d'implosion du droit international du travail ? Dans ce contexte, l'adoption d'un nouvel instrument souple de régulation par l'OIT, la Déclaration de l'OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable de 2008, peut-elle octroyer pour l'avenir à cette organisation internationale un certain leadership dans l'interprétation des principes et droits fondamentaux des travailleurs qui, pour lors, demeure le fait d'une pluralité d'acteurs internationaux comme nationaux ?
English
Fundamental principles and rights at work, formally recognised by the international community since the adoption of the 1998 Declaration on Fundamental Principles and Rights at Work of the International Labour Organisation (ILO), have experienced an unexpected success over the last decade. They have been integrated in various regulatory instruments adopted by a number of international organisations and key actors from the international civil society. They are now frequently mentioned in trade agreements concluded between states, in codes of conduct adopted unilaterally by multinational enterprises and in other negotiated private regulatory instruments, such as international framework agreements promoted by Global Union Federations. While the wide dissemination and use of fundamental principles and rights at work outside the realm of the ILO is of importance, at least on a theoretical level, it nevertheless raises some difficulties on a practical level. International actors have clearly privileged the adoption non-binding instruments – referred to as soft law – instead of more traditional forms of law-making in the field of international labour law, such as conventions addressed to sovereign states. In their substance and their form, whether they are of public or private origin, complemented or not by implementation mechanisms, the normative trajectories put forward by international actors now often embrace a philosophy of softness. But whether this trend is coupled with the improvement of workers' rights on the ground is questionable. In addition, the plurality of follow-up mechanisms and the diversity of actors in charge of implementing fundamental principles and rights at work contribute to the production of interpretations that might be conflicting. Which one will prevail and who will have the power to address this question in a decentralised context of implementation? It seems that there might be a real danger of implosion of international labour law. In this context, one might question whether the adoption of a new soft law instrument by the ILO, the 2008 ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, can give this organisation the leadership needed in the interpretation of fundamental principal and rights at work, interpretation that remains, for now, in the hands of a plurality of global and national actors