Sécurité nationale vs. immigration : une violation du principe de non-discrimination
1 M.A. en politique internationale et droit international, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQÀM. • L’auteur tient à remercier Graciela López pour son soutien et ses relectures critiques, Carolle Simard et Delphine Nakache pour leurs précieux commentaires, cet article ayant été écrit dans le cadre du séminaire interdisciplinaire de maîtrise intitulé « L’immigration et la sécurité : nouveaux enjeux internationaux », regroupant des étudiants en sciences politiques et des étudiants en droit de l’Université du Québec à Montréal.
Résumé
L'intersection entre la sécurité de l'État et corollairement celle de ses ressortissants d’un côté, et la protection des droits des personnes qui se trouvent sur son territoire de l’autre, génère une situation antagonique : les prérogatives régaliennes et wébériennes d'utilisation de la force au nom de la sécurité nationale entrent en collision avec le respect des dispositions juridiques, telles que prescrites dans de nombreux instruments du droit international.
Terre d’immigration, les États-Unis sont le reflet de ce paradoxe qui existe entre une vision qui place l’individu et ses libertés au centre de ses préoccupations, versus une conceptualisation étato-centrique de la sécurité. Mais le renvoi de l’immigration dans le registre sécuritaire ne relève pas forcément d’une réalité objective. L’analyse critique des manifestations d’(in)sécurité considère en effet ce concept comme n’étant plus exclusivement stato-centrée, élargissement conceptuel auquel s'associe une autre mutation conceptuelle : la securitization, qui postule que la menace n'est pas uniquement objective mais également subjective.
Considérant cette "évolution" théorique, l’auteur analyse dans cet article l’immigration aux États-Unis au travers d’un processus de périodisation des mythes fondateurs aux mesures prises dans la foulée du 11 septembre 2001- pour démontrer que la gestion des flux migratoires en direction des États-Unis a toujours été considérée comme une question de sécurité nationale. Retenant à titre illustratif trois groupes de personnes, les Périls Jaune, puis Rouge et aujourd’hui Vert, vont permettre d’illustrer que les mesures restrictives règlementant l’immigration prisent au nom de la sacro-sainte sécurité nationale- constituent de facto, si ce n’est de jure, des atteintes au principe de non-discrimination. Mais tout en soulignant la pérennité du lien qui est effectué entre immigration et sécurité nationale, l’instrumentalisation de ce lien contribue à un renforcement des pratiques régulatrices et à la criminalisation accrue des mouvements transfrontaliers, qui risquent bien d’être contreproductifs par rapport à l’objectif de sécurité recherché !
English
The intersection between, on one hand, the security of a state, and therefore of its nationals, and, on the other hand, protection of the rights of individuals on its territory creates an antagonistic situation: sovereign and Weberian prerogatives to use force in the name of national security collide with compliance with legal provisions, such as those set out in many instruments of international law.
A country of immigrants, the United States is a reflection of the paradox arising out of the conflict between a vision that focuses on persons and individual freedoms, and a vision of security that centres on the state. However, saying that immigration is a security concern may not necessarily be an objective description of reality. Indeed, critical analysis of manifestations of (in)security consider the concept no longer centred exclusively on the state. This conceptual expansion is linked with another conceptual change: the securitization postulated by the threat is not only objective but also subjective.
Using this theoretical shift as a lens, the author performs a periodized analysis of immigration to the United States, from the founding myths to the actions taken in the wake of September 11, 2001. The analysis shows that management of migratory flows to the United States has always been considered a national security issue. Three groups of people, namely the “Yellow Peril,” the “Red Menace” and today the “Green Peril,” are used to illustrate that restrictive immigration measures, taken in the name of sacrosanct national security, are de facto, if not de jure, violations of the principle of non-discrimination. Yet, the link between immigration and national security is persistent. Moreover, its instrumentalization leads to stronger regulations and increased criminalization of transborder movements, which could well be counterproductive with respect to the objective of security!