La lutte au terrorisme international au Canada: panopticon ou banopticon ?
1 Cet article a été écrit dans le cadre d'un séminaire interdisciplinaire de maîtrise intitulé « L’immigration et la sécurité : nouveaux enjeux internationaux », regroupant des étudiants en sciences politiques et des étudiants en droit de l’Université du Québec à Montréal
Résumé
Depuis quelques années, mais surtout depuis le 11 septembre 2001, les contrôles migratoires sont devenus le locus principal d’affirmation du pouvoir souverain dans les pays occidentaux. La mouvance sécuritaire actuelle semble avoir donné les outils conceptuels nécessaires aux États pour leur permettre d’amalgamer des notions autrefois distinctes, comme la sécurité et l’immigration, et d’en inférer des liens qui paraissent désormais naturels et évidents aux yeux du public. Le Canada s’inscrit aussi dans cette mouvance où l’immigrant et l’étranger sont désormais pensés en relation avec l’illégalité, la criminalité et le sujet de non-droit. En pratique, cela se traduit par la mise en œuvre étatique d’un pouvoir souverain qui se manifeste clairement et ouvertement dans le cadre de contrôles migratoires de plus en plus serrés et contraignants. Ainsi, alimenté par la justification sécuritaire, par l’affect de la peur et par la nécessité de combattre le terrorisme international, le Canada applique ses lois et ses politiques de manière à exercer un contrôle accru sur sa population, plus particulièrement sur les migrants en général, mais encore davantage sur les demandeurs d’asile et les réfugiés soupçonnés de terrorisme.
La mise en œuvre de pratiques restrictives à l’endroit des demandeurs d’asile et des réfugiés est facilitée par une conviction très tenace. À la lumière de son comportement, le gouvernement canadien semble convaincu que l’exclusion, l’expulsion, voire le refoulement, à l’extérieur du territoire national des personnes jugées être de potentiels terroristes, permettront de renforcer la sécurité nationale. Cette conviction est elle-même supportée par une autre, à savoir la croyance selon laquelle le pouvoir souverain d’exclure quelqu’un du territoire est absolu et, qu’en situation d’exception, il ne peut être limité d’aucune manière par le droit international. Suivant ceci, la lutte antiterroriste s’exécute presque exclusivement par le rejet des éléments potentiellement dangereux à l’extérieur du pays, au détriment d’autres mesures moins attentatoires des droits et libertés, plus légitimes et plus à même de remplir les objectifs liés à la lutte au terrorisme international.
Dans notre étude, par une relecture d’une décision paradigmatique de la Cour suprême du Canada, l’affaire Suresh, nous chercherons à ébranler ces convictions [1]. Notre thèse est à l’effet que la prétention du Canada à vouloir en arriver à un monde plus sécuritaire, en excluant d’une protection internationale contre la torture et en refoulant de potentiels terroristes à l'extérieur de son territoire, constitue une entreprise vouée à l’échec allant potentiellement à l’encontre des objectifs de lutte au terrorisme et qui se réalise présentement dans le déni de ses obligations internationales relatives aux droits de l’Homme et à la lutte contre l’impunité. Généralement, à la lumière d’une analyse de certaines obligations du Canada dans ces domaines, notre étude révélera trois éléments, ceux-ci se trouvant en filigrane de toute notre réflexion. Premièrement, le pouvoir souverain du Canada d’exclure des individus de son territoire n’est pas absolu. Deuxièmement, le droit d’une personne à obtenir protection non plus n’est pas absolu et des mécanismes d’équilibrage existant en droit international permettent de protéger les personnes tout en s’assurant que le Canada ne devienne pas un refuge pour les terroristes potentiels [2]. Troisièmement, le Canada est astreint à d’autres obligations internationales. Celles-ci protègent les personnes exclues d’une protection et forcent le gouvernement à lutter contre l’impunité.
English
In recent years, but especially since September 11, 2001, migration control has become the primary locus of assertion of sovereign power in western countries. The current security trend seems to have provided governments with the conceptual tools needed to merge notions that used to be distinct, such as security and immigration, and derive links that now appear natural and obvious in the eyes of the public. Canada has also been caught up in this movement, in which immigrants and foreigners are associated with illegality, criminality and rightlessness. In practice, this translates into government application of sovereign power that can be seen clearly and openly in increasingly severe and restrictive migration controls. Thus, fed by security rationales, fear and the need to combat international terrorism, Canada applies its laws and policies so as to increase control over its population, particularly over migrants in general, but even more so over asylum seekers and refugees suspected of terrorism.
The implementation of restrictive practices targeting asylum seekers and refugees is facilitated by a very tenacious belief. Given its behaviour, the Canadian government seems persuaded that exclusion, deportation and even refoulement of potential terrorists can strengthen national security. This belief is itself supported by another, namely that Canada’s sovereign power to exclude an individual from its territory is absolute and, aside from in exceptional situations, cannot be limited by international law in any way. Accordingly, the war on terrorism is proceeding almost exclusively by throwing potentially dangerous elements from the country, to the detriment of other measures that could minimize violations of rights and freedoms, and would be more legitimate and more appropriate for achieving the objectives of the fight against international terrorism.
In our study, through a rereading of Suresh, a paradigmatic Supreme Court of Canada decision, we seek to shake these beliefs [1]. Our thesis is that Canada’s attempt to achieve a safer world by excluding international protection from torture and preventing potential terrorists from ever entering the country is doomed to failure and could create obstacles to combating terrorism if international responsibilities with respect to human rights and the fight against impunity are not met. Generally, in light of analysis of some of Canada’s obligations in these areas, our study pinpoints three elements, which underlie our reflection. First, Canada’s sovereign power to exclude individuals from its territory is not absolute. Second, an individual’s right to protection is also not absolute and there are balancing mechanisms in international law that are designed to protect individuals while ensuring that Canada does not become a refuge for potential terrorists [2]. Third, Canada is bound by other international obligations, which protect excluded individuals and require the government to combat impunity.